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Divorce conventionnel

Le 05 mai 2017
Divorce conventionnel
Incompatibilité avec le droit Européen
 Dans une plainte déposée à Bruxelles, six juristes accusent la réforme du divorce sans juge de violer le droit de l’Union européenne.

Explications par l’un des plaignants, Alexandre Boiché.

Gazette du Palais  : Le 19  avril 2017, avec le professeur Cyril Nourissat, Delphine Eskenazi, Alice Meier-Bourdeau et Grégory Thuan, avocats, vous avez saisi la Commission européenne d’une plainte pour violation par la France du droit de l’Union européenne à la suite de la réforme du divorce, entrée en vigueur le 1er janvier dernier.
Pourquoi ce recours ?

Alexandre Boiché : La France fait partie de l’espace judiciaire européen. Or, la réforme du divorce a été adoptée sans concertation au niveau européen. Résultat : nous sommes confrontés aujourd’hui à de nombreuses incertitudes en matière de droit international privé. Le texte va par exemple à l’encontre du règlement Bruxelles II bis et du règlement Obligations alimentaires sur la circulation des décisions. Le divorce conventionnel peut en effet être enregistré en France sans que les autorités françaises ne soient compétentes pour connaître du divorce. Pourtant, en application du premier règlement, les États s’engagent respectivement à vérifier que, lorsqu’un divorce est prononcé, il l’est par une autorité compétente. C’est à cette condition que le principe de confiance mutuelle des États s’applique et que la décision circule librement. Or là, aucun contrôle n’est effectué par les autorités françaises.

En outre, concernant les obligations alimentaires, la circulaire du 26 janvier 2017 admet clairement que les décisions les concernant ne seront pas reconnues à l’étranger . Elle invite donc les parties à saisir le juge étranger pour faire homologuer ces décisions. On incite les gens à divorcer par acte sous seing privé tout en sachant que la convention de divorce ne pourra pas être exécutée à l’étranger !

On déjudiciarise en France pour encombrer les juridictions des autres États membres.

Pour éviter cet écueil, il faut passer par une procédure contentieuse simulée, ce qui permet d’obtenir une décision qui sera immédiatement exécutoire à l’étranger. C’est aberrant de ne pas avoir laissé le choix aux parties. En tant qu’acteurs de l’espace judiciaire européen et en tant que spécialistes du droit international privé, nous étions tenus de réagir.

Gaz. Pal. : Dans votre recours, un long développement concerne l’intérêt supérieur de l’enfant. En quoi ce dernier est-il mis à mal au regard du droit européen ?

A. Boiché : L’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne impose que l’intérêt supérieur de l’enfant soit respecté. L’article 41 du règlement Bruxelles II bis oblige, pour sa part, à ce que l’enfant soit entendu lorsqu’une décision concernant un droit de visite est prononcée. Or, le divorce conventionnel permet à un enfant de renoncer à être entendu.

La pression est d’autant plus forte s’il comprend que s’il est entendu, le divorce de ses parents sera prononcé par un juge.

En outre, selon l’article 12 du règlement Bruxelles II bis, si le juge du divorce qui n’est pas celui de la résidence habituelle de l’enfant est saisi du sort des enfants, il ne peut accepter cette compétence qu’à la condition de vérifier qu’elle est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Avec ce divorce conventionnel, on permet que des divorces soient prononcés en France au sujet d’enfant qui n’y réside pas sans jamais vérifier si c’est conforme à leur intérêt. Il s’agit d’une violation majeure du droit européen.

Sur la base de ces éléments, prenons l’hypothèse d’un divorce conventionnel d’un couple franco-allemand résidant en Allemagne avec deux enfants vivant en Allemagne. Il pourra être fait en France alors que les juridictions françaises ne sont pas compétentes en application du règlement. Il contiendra des dispositions relatives aux enfants, sans que l’on se soit interrogé sur le point de savoir si cela est conforme à l’intérêt des enfants, et les enfants auront signé les formulaires où ils déclarent ne pas souhaiter être entendus parce que cette audition entraînerait la judiciarisation du divorce.

Sans avoir aucun pouvoir divinatoire, je peux vous garantir que ce divorce, du moins en ce qui concerne les enfants, ne sera pas reconnu en Allemagne. Le droit allemand considère que c’est un droit fondamental de l’enfant d’être entendu par le juge, donc l’y faire renoncer dans ces conditions ne passera jamais.

À partir de là, il sera intéressant de savoir quelle est la valeur d’une convention de divorce enregistrée en France, dont une partie a été déclarée contraire à l’ordre public international d’un autre État membre. Il faut absolument éviter que nos clients aient à faire face à ce type de situation. C’est juste du bon sens, celui qui a manqué au législateur.

L’espace judiciaire européen ne repose pas sur la responsabilité des avocats mais sur celle des États.

Gaz. Pal.  : N’est-ce pas de la responsabilité des ” avocats de s’en assurer dans cette réforme ?

A. Boiché : L’espace judiciaire européen ne repose pas sur la responsabilité des avocats mais sur celle des États. C’est trop facile de se décharger sur les avocats. Les règlements européens font peser sur les juges l’obligation de vérifier d’office leur compétence, pas sur les parties, ni sur leurs conseils. Quand nous lisons que le ministre de la Justice, dans la note qu’il a laissée à son futur successeur, indique au sujet de la coopération européenne en matière judiciaire que « cette coopération s’est édifiée depuis vingt ans sur le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, qui lui-même suppose la confiance réciproque entre les autorités des États membres.

Or cette confiance ne se décrète pas, elle se construit » et que l’on voit les résultats désastreux de l’adoption de cette loi sur le plan de cette coopération, on est partagé entre deux sentiments : soit c’est un témoignage d’incompétence, soit un discours purement hypocrite !

Dans tous les cas, si l’on partage ces progrès du droit européen, on ne peut pas ne pas réagir et ne pas mettre l’État français en face de ses responsabilités. De plus, pourquoi les avocats devraient s’assurer que cette réforme est appliquée conforment au droit européen ? Les avocats européens ont des pratiques et des déontologies différentes d’un État à l’autre. La France ne peut pas imposer sa déontologie et ses règles de responsabilités aux autres avocats européens.

Or, il n’est pas indiqué que l’acte d’avocat doit être obligatoirement celui d’un avocat français. La crainte de certains de voir des plateformes de divorce low cost se développer à l’étranger est donc fondée. En outre, si un divorce conventionnel enregistré en France ne peut pas être exécuté en ce qui concerne les obligations alimentaires à l’étranger, les avocats n’y peuvent rien, c’est la loi qui n’est pas compatible avec les textes européens.

La seule responsabilité des avocats sera alors de ne pas avoir fait comprendre à leur client que le divorce conventionnel n’était pas une option pour eux mais qu’il fallait passer par un divorce contentieux simulé. La responsabilité de l’avocat va un peu loin, dans ce cas…

Gaz. Pal.  : La Commission européenne ne peut obliger la France à abroger la loi. Qu’attendez-vous d’elle ?

A. Boiché : La Commission européenne ne peut abroger la loi mais elle peut émettre des recommandations. Nous souhaitons qu’elle demande à la France d’introduire l’obligation de faire homologuer la convention par un juge lorsqu’il y a un élément d’extranéité et de limiter le divorce conventionnel aux seuls cas où il n’y a pas d’enfant.